Monsieur le Président de la République,
A quelques semaines de l’échéance fixée par le traité d’Amsterdam, les gouvernements européens semblent incapables de s’accorder sur la mise en place d’un régime d’asile européen commun qui permette une pleine application de leurs obligations internationales en matière de protection des réfugiés, notamment la convention de Genève. Dans sa note Lourdes menaces sur le droit d’asile en Europe : un bilan de quatre ans de rapprochement des politiques d’asile, que nous vous prions de trouver ci-incluse, la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) constate à quel point les Etats membres, en décidant au sommet de Séville de juin 2002 d’accorder une « priorité absolue » à la lutte contre l’immigration clandestine, tendent à renier leurs obligations à l’égard des réfugiés.
Certes, la directive relative aux normes minimales sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile a été adoptée début 2003, mais elle ne fixe quasiment aucune règle contraignante pour les Etats qui ont eu le souci, par le biais de clauses facultatives, de préserver leurs prérogatives.
En revanche, ni la directive concernant la définition du réfugié, qui devait être adoptée en juin 2003, ni celle concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut n’ont pu faire l’objet d’un consensus. A propos de la seconde, l’orientation des discussions est telle qu’on hésite même à souhaiter cet accord. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) n’a-t-il d’ailleurs pas recommandé aux Etats membres, au mois de novembre 2003, de repousser leur décision plutôt que de s’accorder sur un trop faible niveau de protection.
Quant au règlement « Dublin II », adopté lui aussi en 2003, qui permet de renvoyer un demandeur d’asile vers l’Etat membre responsable de son entrée dans l’Union, nous ne pouvons que constater combien la rigidité de son application est peu compatible avec la complexité des trajectoires personnelles des candidats à l’asile. De plus, comme le dénonce le HCR, le mécanisme qu’il impose risque de créer un grave déséquilibre en transférant l’essentiel de la demande d’asile sur les dix nouveaux Etats membres qui formeront, pour l’essentiel, la nouvelle frontière extérieure de l’Union dès le mois de mai.
Pour la CFDA, ces travaux ne sont cependant pas la seule source de danger pour le droit d’asile. La note précitée s’attache en effet à démontrer les risques que font peser sur l’avenir du droit d’asile en Europe les mesures prises par l’Union en matière de contrôle des frontières et de lutte contre l’immigration clandestine, qu’elles relèvent de normes communautaires (reconnaissance mutuelle des mesures d’éloignement, sanctions contre les transporteurs…) ou, plus grave encore, de la « coopération opérationelle » (échanges d’officiers de liaison, opérations d’interceptions maritimes, organisation de vols groupés pour le renvoi des migrants…).
En raisonnant essentiellement en termes de réduction des flux migratoires, l’Union européenne prend le risque de dérives irréparables. Après le sommet de Thessalonique, par un courrier à la CFDA du 11 juillet 2003, vous nous aviez assuré de votre opposition à la proposition britannique de traiter les demandes d’asile hors d’Europe. De fait, les Etats membres ont pu donner l’impression de refuser les perspectives d’« externalisation » des demandes d’asile induites par cette proposition. Pourtant, en adoptant des mesures telles que la mise au point des méthodes de refoulement avant de définir leurs critères d’application, la généralisation des accords de réadmission et des dispositifs qui, en amont, interdisent à ceux qui en ont besoin de franchir les frontières, et la multiplication des hypothèses permettant, au nom de la protection des « vrais réfugiés », de ne pas examiner une demande d’asile (pays sûrs, pays tiers sûrs, asile interne…), l’Union européenne s’oriente bien vers l’« exportation » hors de ses frontières de ses responsabilités à l’égard des personnes en quête de protection.
Face à la dégradation des discussions au sein de l’Union, la CFDA réaffirme que la priorité est la défense des instruments internationaux de protection et ne peut que marquer son opposition à des dispositifs s’écartant de la mise en œuvre des principes qu’ils définissent. Elle demande instamment aux Etats membres de l’Union européenne, et parmi eux à la France, d’inverser les orientations actuelles. Il est temps de mettre en place en Europe, comme y a invité récemment le secrétaire général de l’ONU Monsieur Kofi Annan lors d’une allocution devant les parlementaires européens, un système d’asile disposant « des ressources nécessaires pour instruire les demandes avec équité, rapidité et transparence, de sorte que les réfugiés soient protégés », et de retrouver l’esprit du conseil de Tampere
Sont signataires : ACAT, Act-Up Paris, Amnesty International section française, CAEIR, CASP, Cimade, FASTI, Forum réfugiés, FTDA, GAS, GISTI, LDH , MRAP, Primo Levi, SNPM, SSAE