Au cours de ces dernières années, alors que le nombre de demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié augmentait en France, le taux d’accord n’a cessé de diminuer, créant un nombre croissant de déboutés. En cinq ans, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a débouté près de 290.000 demandeurs. Parmi ceux qui ont fait appel, 11.000 ont vu le rejet de l’OFPRA annulé par la Commission des recours des réfugiés. Par ailleurs, sur la même période, plus de 100.000 demandes d’asile territorial ont été déposées : la presque totalité s’est soldée par un refus.
Ces « déboutés » ont connu des sorts divers : certains ont obtenu le statut de réfugié à l’issue d’un réexamen [1], d’autres un document de séjour à un autre titre, quelques uns sont partis de leur plein gré, d’autres ont été éloignés de force. Mais la majorité vit « sans-papiers » en France.
En 2003, moins d’un demandeur sur six a réussi à obtenir une protection. Pour la CFDA, il est intolérable que des étrangers qui ont parfois bravé mille morts pour parvenir en France voient leur demande rejetée. Par son parcours semé d’obstacles, le système de l’asile en France dysfonctionne : aux mauvaises conditions d’information et d’accueil s’ajoutent la complexité des procédures elles-mêmes. Parmi les « déboutés », se trouvent des personnes dont la vie sera en péril en cas de retour dans leur pays, faute d’avoir pu plaider judicieusement leur cause. La réforme législative de 2003 introduit des contraintes matérielles encore plus pénalisantes pour les demandeurs d’asile. Dans ce contexte, alourdi par un climat de suspicion qui fait de chaque demandeur un fraudeur potentiel, il est à craindre que le nombre de déboutés n’augmente, surtout si les décideurs sont sous la pression de délais trop réduits ou de critères de rendement. Si les persécutions de militants internationalement connus continuent à être prises en compte, les risques de persécution encourus par des anonymes seront de plus en plus ignorés. Et pourtant, nul ne quitte son pays sans raison.
Dans ce document, la CFDA présente des recommandations pour que la procédure s’applique de façon équitable et respecte les textes internationaux comme le principe de non refoulement de la Convention de Genève de 1951, la Convention contre la torture et la Convention européenne des droits de l’homme. Ce document se situe dans le prolongement de ses « 10 conditions minimales pour un réel droit d’asile en France » d’octobre 2001. L’application de la nouvelle législation impose que des situations soient revues et nécessite de jeter des bases généreuses pour la « protection subsidiaire » ; les conditions à cause desquelles des demandeurs ont été déboutés demandent à être reprises en compte ; l’expérience de l’application de la réglementation européenne (Dublin) montre aussi ses effets pervers.
Des déboutés dont la présence est « tolérée » sur le territoire
Certains demandeurs déboutés de l’asile se retrouvent dans une situation inextricable : ils craignent pour leur vie en cas de retour au pays, l’administration ne veut ou ne peut les éloigner du territoire mais elle ne leur remet pas pour autant un titre de séjour en règle. La CFDA dénonce le fait que ces personnes ne soient pas protégées ni ne puissent bénéficier de conditions d’existence dignes et légales. Certains cas sont particulièrement choquants :
- certains déboutés obtiennent que le tribunal administratif annule la décision de renvoi vers leur pays d’origine, mais ils ne reçoivent pas de titre de séjour pour autant ;
- certains étrangers ont vu leur demande d’asile rejetée par l’OFPRA, mais l’Office, sous l’empire de l’ancienne loi, avait signalé leur situation au ministère de l’Intérieur comme relevant de l’asile territorial. Pourtant, aucune information n’est disponible sur la suite accordée à ces recommandations.
La CFDA demande une attention particulière pour les étrangers pour lesquels la décision de renvoi vers un pays a été annulée ou le bénéfice de l’asile territorial a été recommandé et, en particulier, que l’administration leur remette systématiquement un document provisoire de séjour et examine la possibilité de leur remettre un titre de séjour.
D’autres situations doivent en outre être prises en compte :
- certains déboutés ne peuvent repartir dans leur pays pour des raisons d’insécurité malgré l’injonction qui leur est faite par l’administration française ;
- d’autres déboutés ne peuvent être éloignés pour des raisons tenant à leur vie privée ou familiale ;
- d’autres encore ont attendu plusieurs années une réponse à leur demande d’asile et peuvent montrer des signes d’une certaine intégration malgré la difficulté de leur situation administrative.
La CFDA demande que l’administration examine systématiquement la possibilité d’accorder le droit au séjour à ces déboutés. L’impossibilité pour certains d’entre eux de fournir un passeport – crainte de se rapprocher des autorités de leur pays même s’ils ont été considérés comme n’ayant pas besoin de protection internationale – ne doit pas être un obstacle à la délivrance d’un titre de séjour. La récente modification de la législation sur l’immigration ayant élargi le rôle de la commission du titre de séjour, les préfectures peuvent utilement la saisir des cas les plus litigieux.
Des persécutés déboutés à cause des mauvaises conditions d’accueil ou d’écoute
« Il ne faut plus que les désordres de notre dispositif d’asile soient porteurs d’injustices, d’inquiétudes et de précarité. Il faut au contraire qu’ensemble, nous redonnions à l’asile ses lettres de noblesse et que nous soyons fiers de ce droit si intimement lié aux valeurs et aux convictions que la France entend défendre à travers le monde »
M. de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, Assemblée nationale, juin 2003, présentation du projet de loi réformant l’asile.
Les conditions matérielles dans lesquelles les demandeurs réalisent leur demande ont une incidence évidente sur l’issue de la procédure
L’absence d’information, de ressources, d’hébergement ou de soutien éclairé est un élément majeur pour empêcher une procédure équitable et conduit trop souvent au rejet de la demande d’asile. Des demandeurs sont déboutés à cause de leur méconnaissance des subtilités linguistiques ou réglementaires.
La CFDA :
- recommande à nouveau la création d’une allocation pour les besoins liés aux procédures : traductions, bons de transports pour honorer les convocations, frais d’avocat (voir la plateforme d’octobre 2001 « 10 conditions minimales pour un réel droit d’asile en France ») ;
- recommande la création d’une « commission nationale consultative des demandeurs d’asile », rassemblant les organismes et ministères concernés, cette commission serait notamment chargée de définir les conditions pour un nouvel examen, dans des conditions sereines, de la demande de tout débouté dont la demande aurait été entravée par des conditions de grande précarité, l’absence d’information, voire l’incapacité manifeste d’exercer son droit de recours ;
- demande que soit mise en œuvre sans délai l’exigence d’une information écrite par les autorités prévue par la directive européenne sur les conditions d’accueil (27 janvier 2003, art 5), également utile pour la bonne information des guichets des préfectures parfois seules sources d’information officielle des demandeurs sur l’asile ;
- demande que l’aide juridictionnelle soit accordée sans délai et sans condition de régularité d’entrée sur le territoire comme le prévoit la proposition de directive européenne relative aux procédures qui devrait être adoptée courant 2004. Pour rendre cette aide effective, le montant de l’aide juridictionnelle doit être augmenté de manière substantielle.
La loi du 10 décembre 2003 généralise le principe des entretiens à l’Ofpra mais de nombreuses exceptions, notamment en raison de la remise d’« éléments manifestement infondés », en réduisent dramatiquement la portée.
En outre, cette loi prévoit le traitement de certains recours « par ordonnance », privant ainsi le demandeur de la possibilité de s’exprimer de vive voix. Pour un demandeur qui n’est pas de tradition écrite ou qui manie mal le français, l’absence de réel soutien lors de la rédaction de la demande risque d’aboutir à un rejet sur simple dossier, sans entretien, si des éléments écrits maladroitement sont jugés « manifestement infondés ».
La CFDA demande
- que, dans le cadre de l’application de la loi, soit donnée une définition objective et compréhensible de la notion de « manifestement infondé » qui permet entre autres une dispense d’entretien à l’OFPRA et de celle d’« élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur de l’OFPRA » qui implique un rejet du recours sur simple dossier, sans convocation à une audience publique ;
- qu’aucune demande ne soit rejetée sans que le demandeur ait pu exprimer de vive voix ses craintes de persécution au moins à un stade de la procédure et qu’une proposition de soutien éclairé ait pu lui être faite ; les conditions dans lesquelles il a dû réaliser sa demande doivent être prises en compte pour justifier d’un rejet sans entretien en première instance. En aucune façon, un demandeur ne doit être débouté de son recours sur simple dossier s’il n’a pas bénéficié d’un entretien en première instance mais il doit être informé de son droit à solliciter le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;
- que, pour toute démarche de réexamen ou de nouvelle demande, les déboutés qui n’ont pu être entendus lors de la précédente procédure, d’une part ne soient pas mis a priori en procédure prioritaire, d’autre part bénéficient systématiquement d’un entretien.
Les mesures envisagées par les projets de décret laissent à penser que les réductions du délai de rédaction en français d’un formulaire plus complexe aboutiront à une augmentation des refus d’enregistrement [2] ou, sans vrai soutien, à des rejets sans entretien du fait de dossiers mal rédigés.
La CFDA demande qu’en cas de refus d’enregistrement de son dossier par l’OFPRA alors que le requérant n’a pu bénéficier d’un vrai soutien, les instructions données aux préfectures visent à ne pénaliser d’aucune sorte le demandeur contraint à une nouvelle demande d’admission au séjour, mais à l’orienter vers une structure qui pourra utilement l’aider dans sa démarche.
Dans le climat de méfiance généralisée qui caractérise la procédure d’asile, le soupçon d’immigration économique peut occulter les craintes de persécution ; or souvent les deux motifs peuvent être étroitement liés.
La CFDA demande que, sur le formulaire de demande et lors de chaque entretien, la spécificité du droit d’asile soit explicitement rappelée et que l’insistance du demandeur sur sa volonté d’intégration dans la société française ne puisse aucunement jouer en défaveur du demandeur.
Une situation nouvelle
En instituant la « protection subsidiaire », la loi relative à l’asile du 10 décembre 2003 a créé un droit nouveau.
Si les craintes de persécution d’un demandeur sont établies, sa demande de protection fondée sur cette modification , en référence à un droit nouveau, ne peut être qualifiée de « réexamen », car elle ne repose pas sur des éléments « nouveaux » de craintes de persécution [3].
La CFDA recommande que tout demandeur débouté en raison de l’interprétation restrictive alors en vigueur de la Convention de Genève ou de l’absence de la « protection subsidiaire » puisse faire une « nouvelle » demande et bénéficier d’une procédure « normale ». Les préfectures doivent s’en tenir à une application stricte de la loi pour accorder l’admission au séjour sans juger a priori ces demandes comme abusives avec les mesures restrictives induites, ni opposer un quelconque traitement dissuasif.
Par l’introduction de la notion d’asile « interne », la nouvelle loi d’une part réduit le champ de l’asile (rejet de persécutés reconnus comme tels mais qui devraient néanmoins repartir se réfugier … dans une portion de leur pays qui ne serait pas administrée par les autorités nationales) et d’autre part prépare de nouvelles situations de « déboutés » qu’il sera difficile de renvoyer dans leur pays (à quelles autorités nationales demander un laissez-passer en cas de renvoi contraint ?).
La CFDA continue à rejeter la notion d’« asile interne » qui fait d’authentiques réfugiés des « déboutés » et demande le réexamen de la situation de ceux qui auraient déjà été rejetés sur la base de cette notion.
Une jurisprudence à établir de manière équitable pour la « protection subsidiaire »
L’échec de l’asile territorial est reconnu. La protection subsidiaire lui est opposée comme une meilleure solution de protection. Il lui faut alors ne pas décourager les espoirs suscités et acquérir ses « lettres de noblesse » sans empiéter sur la protection prévue par la Convention de Genève. Une jurisprudence est à construire.
La CFDA demande
- que la protection subsidiaire s’applique à la situation de déboutés dont les craintes de persécutions – qui n’entreraient pas dans les motifs énoncés par la Convention de Genève – n’ont pas été jugées réellement infondées.
- que la loi soit lisible : une interprétation s’impose pour le troisième motif d’accord de la protection subsidiaire : « une menace directe et individuelle […] en raison d’une violence généralisée » (article 2-II-2°c de la loi relative à l’asile modifiée).
Des candidats à l’asile victimes du règlement Dublin
Parmi les demandeurs d’asile se trouvent des étrangers qui sont concernés par le règlement dit Dublin II, qu’ils aient transité par un autre Etat membre ou y aient demandé l’asile, qu’ils aient été contrôlés pendant leur parcours ou aient déjà été déboutés d’une façon expéditive. La CFDA conteste le fait qu’avec l’application stricte des critères de Dublin II, certains demandeurs soient séparés de leur famille résidant en France, d’autres soient éloignés après quelques mois ou d’autres encore soient poussés à se maintenir dans l’illégalité pour éviter un nouveau départ vers l’Etat membre considéré comme responsable.
La CFDA
- réitère son vœu que le persécuté obligé de fuir ait droit au libre choix de son pays d’accueil à l’intérieur de l’Union européenne en fonction notamment de ses attaches familiales ou culturelles ;
- s’oppose à la mise en œuvre de la procédure de « remise », contre leur gré, des demandeurs d’asile aux autorités d’un autre Etat membre désigné comme « responsable du traitement de la demande » en application du règlement Dublin II tant que les directives, notamment celles concernant les procédures, les conditions d’accueil et l’interprétation de la Convention de Genève, ne leur garantiront pas dans cet Etat membre le même niveau de traitement et d’accueil ;
- rappelle que rien n’empêche les Etats membres, même dans le cadre du règlement dit Dublin II, de décider d’examiner une demande d’asile même si un autre Etat membre est considéré comme « responsable » de cet examen.