Réforme domiciliation Lettre de la Coordination Française du Droit d’Asile à Madame Marie-Arlette Carlotti, Ministre chargée de la lutte contre l’exclusion à Madame Cécile Duflot, Ministre de l’égalité des territoires et du logement et à Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’intérieur

Paris, le 30 Septembre 2013

Mesdames les Ministres, Monsieur le Ministre,

La Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) demande que :

  • la réglementation soit simplifiée et que l’obligation d’agrément spécifique soit supprimée au profit d’un recours généralisé au dispositif de domiciliation de droit commun. Cela permettrait de ne pas stigmatiser un public déjà fragile et de répartir la demande de domiciliation associative entre un plus grand nombre de structures.
  • ce dispositif de domiciliation de droit commun soit renforcé dans chaque département, doté de moyens financiers suffisants pour les associations et les CCAS.

La CFDA salue l’orientation du projet de loi ALUR (Accès au Logement et à l’Urbanisme Rénové) en matière de domiciliation. Elle s’inquiète pourtant car, dans l’exposé des motifs, la mention d’un « décret en Conseil d’Etat (...) pour la domiciliation relative à l’asile permettant de préciser certaines dispositions spécifiques » lui fait craindre un maintien des demandeurs d’asile dans un dispositif spécifique qui, comme aujourd’hui, les pénaliserait lourdement. Nous souhaitons attirer votre attention sur cette contradiction.

Dans son récent rapport « Droit d’asile en France : Conditions d’accueil - Etat des lieux »*, la CFDA a montré que l’accès à la domiciliation des demandeurs d’asile n’est pas garanti sur l’ensemble du territoire. Les associations agréées pour domicilier ce public sont saturées. Les délais pour obtenir une domiciliation « asile » augmentent de plus en plus. Il n’est plus rare d’attendre plusieurs mois, parfois même une année, pour obtenir la délivrance d’une attestation permettant d’engager une procédure d’asile.

Pendant toute cette période, les personnes ne bénéficient pas d’un statut juridique suffisamment précis pour leur éviter de faire l’objet d’une procédure d’éloignement du territoire. Compte tenu de ces délais, ces personnes ne peuvent déposer rapidement une demande de protection internationale, contrairement aux exigences découlant de la directive « accueil » du 26 juin 2013.

En dépit de cette situation, rares sont les préfets qui décident d’agréer de nouveaux acteurs. Au contraire, des décisions de non renouvellement des agréments ont été notifiées à plusieurs associations (Moselle et Loire-Atlantique).

De plus, la question de la délivrance et plus souvent du renouvellement de l’agrément est utilisé par certains préfets comme un instrument de contrôle permettant à la fois de décider d’interrompre ou suspendre les domiciliations des demandeurs d’asile en fonction du nombre de ces derniers (Maine-et-Loire, Hauts-de-Seine) et de sélectionner les personnes pouvant bénéficier d’un tel service (Côte-d’Or, Isère) ou encore de déléguer aux associations des missions de l’administration, comme la gestion des convocations en préfecture. Un changement de dispositif est donc nécessaire. Le projet de loi ALUR pourrait être la réponse à cette situation. Il aborde dans son article 21 la question de la domiciliation des personnes sans domicile stable. L’objectif de ce changement législatif est une simplification de l’existant, dans la dynamique du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Celui-ci consiste en un alignement des domiciliations spécifiques aux demandeurs d’aide médicale d’Etat et d’admission au séjour au titre de l’asile sur la domiciliation de droit commun. Il ferait ainsi disparaître les dispositifs particuliers, qui rendent complexes tant l’accès aux droits que le travail des acteurs impliqués dans la domiciliation, au profit d’un dispositif unique.

La CFDA salue cet élan qui devrait permettre d’aligner sur le droit commun, la domiciliation des demandeurs d’asile sans domicile stable. Elle espère que cette réforme ne laissera subsister qu’un seul dispositif, plus juste, prévoyant pour toutes les personnes sans domicile stable un égal accès à l’ensemble de leurs droits.

Reste le décret en Conseil d’Etat annoncé pour préciser certaines dispositions spécifiques. Nos organisations s’inquiètent du risque de maintien, par ce biais, d’un dispositif discriminant et pénalisant applicable aux demandeurs d’asile, qui viendrait contredire par ailleurs l’ambition initiale portée par l’article 21. Les besoins des demandeurs d’asile en matière de domiciliation ne requièrent pas un traitement spécifique. Comme de nombreuses procédures administratives, celle de l’asile nécessite le respect par le requérant d’un certain nombre de délais précis et rend nécessaire une gestion du courrier très rigoureuse. S’il faut maintenir un haut degré d’exigence sur l’activité de domiciliation, celui-ci est d’ores et déjà garanti par le dispositif très fiable de la domiciliation de droit commun (nécessaire expérience des organismes dans le domaine social, cahier des charges précis pour cette activité, contrôle par les services déconcentrés de l’adéquation entre les moyens humains et matériels mis en œuvre et la file active, etc.). Quant à la petite minorité des CCAS qui acceptent de domicilier sans agrément les demandeurs d’asile, ils leur offrent un service satisfaisant identique à celui destiné aux autres domiciliés.

Ce n’est pas l’existence d’un financement dédié à la domiciliation des demandeurs d’asile qui pourrait justifier le maintien d’un dispositif de domiciliation spécifique. De nombreuses organisations agréées ne bénéficient, en effet, d’aucun financement public. Elles proposent ce service grâce à la générosité publique. Quant aux rares CCAS qui ouvrent leurs portes aux demandeurs d’asile, ils le font sur leurs ressources propres. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dispose certes d’une ligne de financement dédiée. Mais elle est, d’une part, très largement insuffisante et, d’autre part, elle constitue un moyen de pression sur les organisations bénéficiaires auxquelles il est demandé d’exclure certaines catégories de demandeurs d’asile, lesquels doivent donc s’adresser à d’autres organisations - sans subventions publiques.

Comme on le voit, les organismes non financés jouent un rôle irremplaçable dans la couverture des besoins de l’ensemble du public sans domicile en demande de protection internationale.

Dans ces conditions, la survivance d’un dispositif spécifique n’est pas appropriée. Elle desservirait les demandeurs d’asile et entrerait en contradiction avec les objectifs affichés de la réforme de la domiciliation. Les demandeurs d’asile doivent bénéficier enfin du droit commun à la faveur d’une réforme caractérisée par une réelle volonté de simplification de la législation en matière de domiciliation qui implique l’existence d’un unique dispositif pour l’ensemble des personnes sans domicile stable et un égal accès à l’ensemble de leurs droits.

Au nom de la CFDA, nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de notre considération.

La CFDA

Contacts :

Médecins du Monde Anne-Lise Denoeud 62, rue Marcadet 75 018 Paris 01 44 92 14 85

Dom’Asile David Hedrich 46, bd des Batignolles 75 017 Paris

Voir en ligne : http://cfda.rezo.net/Accueil/L%20CF...