Réforme de l’asile : commentaires et recommandations / 30 septembre 2003

Le Sénat va examiner le 23 octobre 2003, le projet de loi réformant la loi de 1952 relative au droit d’asile qui a été adopté en première lecture par l’assemblée nationale le 5 juin 2003. La Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), qui apporte depuis plusieurs années au débat sur l’asile une contribution riche de l’expérience et la diversité de ses membres, présente dans ce document les commentaires que lui inspire l’état actuel du projet de loi et les recommandations qu’elle adresse aux parlementaires pour que la réforme – nécessaire tant la situation est critique – du dispositif d’asile en France respecte les principes qu’elle défend dans sa plate-forme Dix conditions minimales pour un réel droit d’asile en France.

La réforme de la loi de 1952 sur l’asile qui va être ici commentée ne peut être dissociée du programme plus vaste de refonte législative engagé par le gouvernement, qui, en s’attaquant au statut des étrangers en France, touche celui des demandeurs d’asile et des réfugiés. Après l’adoption en février 2003 de la loi sur la sécurité intérieure,le projet de réforme de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relatif à l’immigration et au séjour des étrangers en France, adopté en juillet par l’Assemblée et qui sera examiné par le Sénat du 8 au 15 octobre, comporte des dispositions directement liées aux questions d’asile. C’est en effet cette ordonnance qui a été choisie comme support pour la transposition en droit interne de la directive européenne relative à la protection temporaire. C’est elle encore qui prévoit les modalités dans lesquelles peuvent être formulées les demandes d’asile à la frontière ou en rétention et du maintien en zone d’attente. Les dispositions prévues sont particulièrement restrictives. Ce programme de réforme est complété par une réorganisation du dispositif d’accueil des étrangers : avec la création d’un contrat d’accueil et d’intégration et d’une agence gouvernementale de l’immigration. En ce qui concerne les demandeurs d’asile, le gouvernement a annoncé la création de places supplémentaires de CADA et de nouvelles missions pour ces centres (aide psychologique pour le retour des déboutés) qui préfigurent une transformation radicale du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés.

L’ensemble du projet de loi relative au droit d’asile est marqué par une refonte en profondeur, puisque sont touchées à la fois la composition des organes de détermination, la définition du réfugié ainsi que les procédures d’admission au séjour et de reconnaissance de la protection. De façon générale, la CFDA note que la réforme privilégie la gestion restrictive des flux migratoires au détriment de la notion de “ protection ”. Cette orientation est marquée par les pouvoirs conférés aux préfets en matière de demande de réexamen de la protection subsidiaire mais également dans l’annonce par le ministre de l’Intérieur que des fonctionnaires de son ministère devraient être intégrés dans les effectifs de l’OFPRA , y compris à des postes décisionnels. Le projet de loi s’inspire largement des propositions de directives actuellement en cours de discussion au sein de l’Union européenne : à cet égard, la CFDA regrette qu’il tende à s’aligner sur les normes minimales fixées par celles-ci lorsqu’il ne se situe pas en deçà, en particulier sur la protection subsidiaire ou sur la notion d’asile interne.

Le projet renvoie un grand nombre de modalités d’application déterminantes à un décret en Conseil d’Etat. La CFDA sera attentive à ce que des modalités d’application, en particulier des délais de mise en œuvre des dispositions votées, ne viennent pas affaiblir les droits des demandeurs d’asile.

COMPOSITION DE L’OFPRA ET DE LA COMMISSION DES RECOURS DES REFUGIES

OFPRA et Conseil de l’OFPRA (articles 2 et 3 )

Dans l’état actuel du projet de loi, l’OFPRA conserve un statut d’un « établissement public doté de l’autonomie financière et administrative auprès du ministre des Affaires étrangères ». Cependant l’hypothèse d’une co-tutelle de l’OFPRA par les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, voire d’une tutelle du ministère de l’intérieur a été envisagée sérieusement.. En tout état de cause, le projet de loi prévoit une modification sensible des organes de direction de l’Office : « L’office est administré par un conseil d’administration comprenant deux parlementaires désignés l’un par l’Assemblée, l’autre par le Sénat, des représentants de l’Etat et un représentant du personnel de l’office. Le conseil d’administration fixe les orientations générales concernant l’activité de l’office ainsi que pour la période comprise entre la date de l’entrée en vigueur de la loi et l’adoption de dispositions communautaires en la matière, la liste des pays d’origine considérés comme surs, mentionnés au 2°de l’article 8. Il délibère sur les modalités de mise en œuvre des dispositions relatives à l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Le président du conseil d’administration est nommé parmi ses membres par décret sur proposition du ministre des affaires étrangères Le délégué du haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, ainsi que trois personnalités qualifiées nommées par décret, assistent aux séances du conseil d’administration et peuvent y présenter leurs observations et leurs propositions Au moins l’une des trois personnalités qualifiées susmentionnées représente les organismes participant à l’accueil et à la prise en charge des demandeurs d’asile et des réfugiés.
L’office est géré par un directeur général, nommé par décret sur proposition conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’intérieur. »

Le conseil d’administration voit ses prérogatives renforcées, il est chargé non seulement de définir les orientations générales de l’Office en particulier, l’établissement à titre transitoire de la liste des pays considérés comme sûrs (cf infra) mais également de délibérer sur les modalités de mise en œuvre de l’octroi du statut de réfugié et de la protection subsidiaire. La CFDA s’interroge sur cette nouvelle compétence du conseil d’administration et s’inquiète que la doctrine de l’Office concernant l’octroi du statut de réfugié soit décidée par le conseil.

Composition du conseil et rôle du HCR et des associations.

En ce qui concerne la composition de ce conseil, le projet adopté par l’assemblée a apporté plusieurs modifications : tout d’abord la présence de deux parlementaires, représentant les deux assemblées ainsi que l’assurance qu’au moins une des personnalités qualifiées représentera les organismes chargés de l’accueil des demandeurs d’asile. Malgré ces nouvelles garanties, le Conseil de l’OFPRA restera constitué principalement de représentants de ministères, d’autant plus que les personnalités qualifiées tout comme le HCR ne participeront pas aux délibérations du conseil et ne pourront qu’y soumettre des propositions et des observations. Il en ressort une hiérarchie entre membres du Conseil qui conduit à un renforcement du contrôle des ministères sur le fonctionnement de l’OFPRA.

Le HCR est selon son mandat, les résolutions successives de l’assemblée générale des Nations Unies et la Convention de Genève, le garant de l’application des conventions internationales de protection des réfugiés et de façon plus large des personnes nécessitant une protection internationale. En particulier sur les notions d’interprétation introduites par la loi, il est indispensable que le HCR puisse contrôler la conformité de leur application avec les instruments internationaux.

- La CFDA demande que l’OFPRA soit doté d’une réelle indépendance afin d’assurer l’application pleine et entière des conventions et normes internationales de protection des réfugiés . Afin de garantir cette indépendance, la CFDA demande que soit confirmés la présence et le rôle du HCR et des associations en tant que membres à part entière du conseil.

Rôle du ministère de l’Intérieur et transmission de documents vers ce ministère (article 3)

Le ministère de l’Intérieur, s’il n’obtient pas la co-tutelle de l’OFPRA, renforce ses positions.

D’une part, le directeur général de l’Office serait désormais nommé par décret sur proposition conjointe des ministères des Affaires étrangères et, avec ce projet de loi, de l’Intérieur.

le projet de loi prévoit également que les préfets pourront solliciter à tout moment le réexamen par l’OFPRA du bénéfice de la protection subsidiaire pour des motifs d’ordre public (article 2 IV). Il est vraisemblable également que le ministère de l’intérieur ou les préfets pourront former un recours contre les décisions d’accord de l’OFPRA auprès de la commission des recours des réfugiés (cf.infra article 5).

Ce renforcement est également marqué par la transmission à des « agents » du ministère de l’Intérieur par l’OFPRA ou la Commission des recours des réfugiés des décisions motivées et dans certains cas, de documents d’état civil ou de voyage ou de copies de ces documents. Les modalités de désignation et d’habilitation de ces « agents » sont renvoyées au décret d’application.

« Lorsqu’une demande d’asile est rejetée, le directeur général de l’office ou le président de la commission des recours des réfugiés transmet la décision motivée au ministère de l’intérieur. A la demande de ce dernier, le directeur général de l’office communique à des agents habilités des documents d’état civil ou de voyage permettant d’établir la nationalité de la personne dont la demande d’asile a été rejetée, ou à défaut une copie de ces documents, à la condition que cette communication s’avère nécessaire à la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement et qu’elle ne porte pas atteinte à la sécurité de cette personne ou de ses proches. »

En dépit des garanties introduites dans l’ultime version du texte, notamment en ce qui concerne « la sécurité » des personnes concernées et de leurs proches, cette transmission apparaît contraire au principe constitutionnel de confidentialité et d’inviolabilité du dossier OFPRA, tel qu’il a été dégagé par la décision DC 97-389du 22 avril 1997 du Conseil constitutionnel. Pour rappel, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition du projet de loi Débré de 1997 qui prévoyait de permettre l’accès du fichier dactyloscopique de l’OFPRA à des agents spécialement habilités du ministère de l’intérieur, en précisant que : « Considérant que la confidentialité des éléments d’information détenus par l’office français de protection des réfugiés et des apatrides relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que les demandeurs du statut de réfugié bénéficient d’une protection particulière ; qu’il en résulte que seuls les agents habilités à mettre en oeuvre le droit d’asile, notamment par l’octroi du statut de réfugié, peuvent avoir accès à ces informations, en particulier aux empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié ; que dès lors la possibilité donnée à des agents des services du ministère de l’intérieur et de la gendarmerie nationale d’accéder aux données du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié créé à l’office français de protection des réfugiés et apatrides prive d’une garantie légale l’exigence de valeur constitutionnelle posée par le Préambule de la Constitution de 1946 ; »

Dans le projet actuel, non seulement L’OFPRA pourra transmettre des éléments d’identité (documents de voyage) mais également la motivation de ses décisions de rejet. Cette disposition est clairement contraire à la Constitution.

En outre, cette mesure apparaît comme une mesure de contrôle des flux migratoires au détriment de la protection. En effet, selon l’exposé des motifs, la connaissance des décisions motivées par le ministère servirait à « mieux assurer sa défense dans les éventuels contentieux relatifs aux mesures d’éloignement » ; la possession des documents d’état civil rendrait plus aisée l’identification des personnes. Comme le précise l’exposé des motifs, « idéalement, une décision définitive de rejet devrait se traduire effectivement par une mesure d’éloignement ».

  • La CFDA s’inquiète que l’ensemble de ces mesures n’aboutisse, en fait sinon en droit, à un contrôle de cet organisme par le ministre de l’Intérieur.
  • La CFDA demande que la possibilité de transmission des décisions motivées et de documents d’état civil au ministère de l’Intérieur ne soit pas introduite dans la loi.

Composition de la Commission des recours des réfugiés (article 5)

Un nouveau mode de nomination des membres de la Commission des recours des réfugiés est prévu : les présidents de section pourront être nommés parmi les corps de la justice administrative (Conseil d’Etat, Tribunaux administratifs, Cour des Comptes ou chambres régionales des comptes) mais également de l’ordre judiciaire.

En ce qui concerne les assesseurs, le projet de loi prévoit de nouvelles modalités de désignation. Les actuels représentants du conseil de l’OFPRA seraient nommés par le vice président du Conseil d’Etat sur proposition des ministères représentés au conseil d’administration de l’Office. Après la discussion à’ l’assemblée, le HCR ne serait pas représenté es qualités mais aurait la possibilité de nommer des « personnalités qualifiées de nationalité française après avis conforme du Vice Président du Conseil d’Etat ».

La CFDA constate qu’en dépit du maintien de la nomination d’un assesseur par le HCR, l’équilibre de la Commission des recours est modifié. En effet, la nouvelle formulation ne prévoit pas une représentation es qualités du HCR. L’argument développé par le gouvernement du caractère national de la protection subsidiaire apparaît peu convaincant au regard du mandat confié au HCR par l’assemblée de Nations Unies et de la décision du conseil constitutionnel DC 98-399 du 5 mai 1998, qui saisi sur la question de l’asile constitutionnel, forme nationale d’asile, avait estimé la présence du HCR conforme à la Constitution.

En revanche, la CFDA estime que la nomination d’assesseurs sur proposition des ministères représentés au conseil de l’Office, limite l’indépendance de la Commission au moment où ces ministères voient renforcer leur rôle au sein de l’OFPRA et que l’administration pourra former un recours contre les décisions d’accord de l’Office.

-La CFDA demande donc que la loi maintienne au sein de la Commission des recours des Réfugiés un représentant du HCR. Pour assurer son indépendance, La CFDA suggère que l’assesseur représentant les ministères soit remplacé par un juge judiciaire afn que la Commission des recours soit composée d’un juge administratif, d’un juge judiciaire et d’un représentant du HCR.

DEFINITION DU STATUT DE REFUGIE ET DE LA PROTECTION SUBSIDIAIRE

Le projet de loi, s’il ne modifie pas la définition du réfugié contenue dans la loi du 25 juillet 1952, introduit la notion de protection subsidiaire mais également des critères d’interprétation.

ACTEURS DE PERSECUTION ET DE PROTECTION - NOTION D’ASILE INTERNE

Le projet de loi élargit la définition des acteurs de persécution par rapport à la jurisprudence française actuelle pour la reconnaissance de la qualité de réfugié (article 2) : comme le précise l’exposé des motifs, « le critère jurisprudentiel de l’origine étatique est abandonné ». « Les persécutions prises en compte dans l’octroi de la qualité de réfugié et les atteintes graves pouvant donner lieu au bénéfice de la protection subsidiaire peuvent être le fait des autorités d’un Etat, de partis ou d’organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie substantielle du territoire de l’Etat, ou d’acteurs non étatiques dans les cas où les autorités refusent ou ne sont pas en mesure d’offrir une protection. »

- La CFDA se félicite que la loi explicite la notion d’acteurs de persécution d’une manière plus conforme à l’esprit de la convention de Genève et l’applique à la fois à la reconnaissance de la qualité de réfugié et à l’attribution de la protection subsidiaire.

Le projet de loi introduit néanmoins les notions d’acteurs de protection et d’asile interne (article 2) : « L’office peut rejeter la demande d’asile d’une personne qui aurait accès à une protection sur tout ou partie du territoire de son pays d’origine si cette personne n’a aucune raison de craindre d’y être persécutée ou d’y être exposée à une atteinte grave et s’il est raisonnable d’estimer qu’elle peut rester dans cette partie du pays. L’office tient compte des conditions générales prévalant dans cette partie du territoire et de la situation personnelle du demandeur au moment ou il statue sur la demande d’asile. Les autorités susceptibles d’offrir une protection peuvent être les autorités d’un Etat, des partis ou des organisations, y compris des organisations internationales, contrôlant l’Etat ou une partie substantielle du territoire de l’Etat »

La CFDA s’inquiète fortement de l’introduction des notions d’acteurs de protection et d’asile interne qui pourraient annihiler la possibilité concrète d’obtenir la protection de la convention de Genève ou la protection subsidiaire pour de nombreux demandeurs. Des exemples récents (les poches humanitaires en Bosnie, la zone humanitaire au Rwanda) ont en effet montré que, même sous la protection d’une force internationale, la possibilité d’une option d’asile interne n’est pas une forme de protection suffisante et durable. Comme le précise l’exposé des motifs, « lorsqu’elle existe dans le pays d’origine, la protection des personnes est normalement assurée par les autorités étatiques ». En effet, seuls les Etats internationalement reconnus peuvent offrir une protection effective à leurs ressortissants, seuls les Etats sont engagés par la signature des textes internationaux. Un parti ou une organisation y compris internationale ne saurait assurer une protection de la nature de celle d’un Etat internationalement reconnu.

La Commission nationale consultative des Droits de l’Homme dans son avis du 24 avril 2003 sur le projet de loi rappelait que : « Ce principe est illustré par la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Commission des Recours des réfugiés qui n’ont admis la notion d’agent de protection que pour une mission d’administration décidée de jure par le Conseil de sécurité des Nations unies (mission des Nations unies au Kosovo, mission des Nations unies au Timor oriental) en s’assurant de l’effectivité de cette protection. En revanche, des missions de maintien de la paix mises en place sur la base de l’article 6 de la Charte des Nations Unies n’ont pas été prises en compte. A cet égard, les génocides perpétrés au Rwanda ou en Bosnie en dépit de la présence de missions d’assistance des Nations Unies constituent des rappels impératifs aux obligations de protection »

« Ces deux notions sont par ailleurs contraire à la Constitution en ce qu’elle limite le champ d’application de l’asile constitutionnel introduit par la loi du 11 mai 1998 laquelle se réfère explicitement au Préambule de la Constitution. Dans l’esprit du législateur et de la jurisprudence établie par la Commission de recours des réfugiés, cette forme d’asile vise à accorder le statut de réfugié aux combattants de la liberté indépendamment de toute considération d’acteurs de persécution ou de possibilité interne de protection. »

En outre, la rédaction connue est d’une part très floue, d’autre part en deçà de la norme minimale européenne en cours de discussion : en effet, le texte parle d’un « accès à une protection sur tout ou partie du territoire de son pays d’origine » sans que ne soit explicitée la possibilité raisonnable de s’installer durablement et d’y jouir de l’ensemble des droits attachés à une protection (droits fondamentaux mais également économiques et sociaux). Ces éléments sont pourtant la principale condition fixée par les recommandations du HCR .

Il existe un réel danger que la possibilité théorique d’un asile interne par un acteur de protection différent de l’Etat soit utilisée pour rejeter les demandes d’asile de personnes qui ont dû fuir non seulement des persécutions et des menaces graves dans une partie du territoire mais également l’indigence et l’absence de droits dans une autre partie du territoire.

- La CFDA demande que les notions d’acteurs de protection et d’asile interne ne soient pas introduites dans la loi sur l’asile.

DEFINITION ET MOTIFS DE REFUS DE LA PROTECTION SUBSIDIAIRE

Le projet de loi prévoit de supprimer l’asile territorial et d’instituer une protection subsidiaire définie ainsi (article 2) :

« Sous réserve des dispositions de l’alinéa 4 du présent article, il accorde le bénéfice de la protection subsidiaire à toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié … et qui établit qu’elle est exposée dans son pays à l’une des atteintes graves suivantes :

  • la peine de mort ;
  • la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
  • S’agissant d’un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. » Selon l’exposé des motifs, lorsque les conditions seront réunies, « l’OFPRA sera tenu d’octroyer la protection subsidiaire » ; en effet, le projet de loi prévoit que l’Office « accorde » la protection alors qu’actuellement, la loi prévoit que le ministère « peut accorder » l’asile territorial. En outre, « il appartiendra à l’OFPRA de vérifier en premier lieu si le demandeur relève des critères de la Convention de Genève avant d’envisager, si tel n’est pas le cas, l’octroi éventuel de la protection subsidiaire ».

La CFDA demande

  • que toutes les garanties soient prises pour que le bénéfice de la protection subsidiaire soit effectivement accordé à toute personne répondant aux critères et « qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié » et qu’une application restrictive de la Convention de Genève ne substitue pas la protection subsidiaire à la protection du statut de réfugié.

La définition retenue dans le projet de loi s’inspire de celle actuellement en débat au sein de l’Union européenne, issue d’une proposition de directive. La CFDA estime que la définition de la protection subsidiaire, notamment si elle est couplée aux notions d’asile interne et d’acteurs de protection, va créer de nouvelles situations de personnes ni éligibles, ni reconductibles, en particulier si elles viennent de pays où existe un conflit armé interne ou international. Tout d’abord, la CFDA s’interroge sur l’interprétation qui pourra être faite de la compatibilité entre une « violence généralisée » résultant d’une situation de conflit armé interne ou international et une « menace grave, directe et individuelle ». Cette définition de la menace, plus contraignante que celle contenue dans l’article 1er de la convention de Genève, risque d’exclure de la protection subsidiaire de nombreux demandeurs, par exemple des déserteurs et insoumis sauf s’ils ont des motifs de conscience. D’autre part, le projet de loi fait disparaître la notion de « menace grave contre la liberté » d’une personne, qui figure actuellement comme cause d’éligibilité à l’asile territorial, restreignant ainsi le champ d’application.

La CFDA demande

  • que la notion de menace contre la liberté d’une personne soit maintenue comme motif susceptible d’être pris en considération pour l’application de la nouvelle protection subsidiaire ;
  • que la protection subsidiaire permette de protéger ceux qu’il est manifestement impossible de renvoyer en raison de situations d’insécurité générale ou de manque de liaison de transport et ceux dont la mesure d’éloignement est annulée en ce qui concerne le pays de renvoi sur la base de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cessation et exclusion de la protection subsidiaire (article 2)

La CFDA regrette la nature précaire du nouveau statut de protection subsidiaire, lequel risque de laisser le bénéficiaire dans une incertitude permanente puisque le projet de loi prévoit que son titre de séjour pourra lui être retiré « à tout moment ».

« Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé pour une période d’un an renouvelable. L’office, procédant à son initiative ou à la demande du représentant de l’Etat à un réexamen, peut retirer à tout moment le bénéfice de la protection subsidiaire pour les motifs énumérés aux alinéas a, b, c et d. Il peut refuser à chaque échéance de renouveler le bénéfice de la protection subsidiaire lorsque les circonstances ayant justifié son octroi ont cessé d’exister ou ont connu un changement suffisamment profond pour que celle-ci ne soit plus requise. » Le projet de loi prévoit un nombre important de clauses d’exclusion à la protection subsidiaire, des motifs plus précis que dans les différentes versions de l’avant-projet et qui reprennent et étendent les motifs d’exclusion de la Convention de Genève.

« la protection subsidiaire n’est pas accordée à une personne dont on a des raisons sérieuses de penser : « a) qu’elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ; « b) qu’elle a commis un crime grave de droit commun ; « c) qu’elle s’est rendue coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ; « d) que sa présence sur le territoire constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat. L’office, procédant à son initiative ou à la demande du représentant de l’Etat à un réexamen, peut retirer à tout moment le bénéfice de la protection subsidiaire pour les motifs énumérés aux alinéas a, b, c et d précédents »

La CFDA s’inquiète de l’ajout de clauses de cessation autres que celles de la Convention de Genève, en particulier les notions de « crime grave de droit commun » sans précision de lieu de la commission de ce crime et de « menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat » alors que ces notions, dont les éléments constitutifs ne peuvent être répertoriés, sont en droit français des plus mouvantes.

La CFDA demande

  • que les motifs d’exclusion de la protection subsidiaire, s’ils devaient exister, ne soient pas plus larges que ceux de la Convention de Genève ;
  • que la possibilité ne soit pas donnée au préfet de saisir l’OFPRA à tout moment d’une demande de réexamen de la situation d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire.

LA PROCEDURE DES GARANTIES DE PROCEDURE

La réduction des délais d’instruction avait été l’annonce phare du président de la République le 14 juillet 2002 et, comme le précise l’exposé des motifs du projet de loi, « l’objectif de la réforme est de raccourcir les délais d’instruction des demandes d’asile ». Depuis de nombreux mois, la CFDA est fréquemment intervenue afin que soient améliorées les conditions de vie des demandeurs d’asile et les conditions de traitement de leurs demandes. Elle ne peut que se réjouir de la volonté d’accélérer le traitement des demandes à condition que le principal résultat ne soit pas un traitement expéditif de certains dossiers avec des garanties moindres et une accélération excessive des rejets, de nombreux demandeurs étant alors soumis à des mesures d’éloignement que le ministre de l’Intérieur veut rendre plus efficaces par le projet de loi relatif à l’immigration adopté en Conseil des ministres le 30 avril

La CFDA , si elle salue l’introduction d’une procédure unique de détermination avec des décisions motivées et susceptibles de recours suspensifs pour l’ensemble des demandes d’asile, regrette que des garanties existantes soient supprimées du projet de loi, en particulier pour les recours devant la Commission des recours, et que ne soient pas reprises les garanties évoquées par le ministre des Affaires étrangères lors de sa communication le 25 septembre 2002 (entretien systématique, présence d’un tiers). Le projet de loi, s’il affirme que le demandeur est mis en mesure de présenter les éléments à l’appui de sa demande, renvoie un grand nombre de modalités d’application déterminantes à un décret en Conseil d’Etat, en particulier les délais de mise en œuvre des dispositions votées.

La CFDA demande que les garanties de procédure soient introduites afin

  • que le demandeur soit entendu aussi bien par l’OFPRA que par la Commission des Recours, si besoin est avec un interprète dans sa langue maternelle ;
  • qu’au cours de cet entretien, le demandeur puisse être assisté d’un conseil de son choix, avocat, membre d’une association ou personne tierce ;
  • que la loi de 1991 sur l’aide juridictionnelle soit modifiée pour que l’ensemble des demandeurs y ait accès ;
  • que les frais de transport pour se rendre à un entretien ou à une audience et de traduction des documents produits en langue étrangère soient à la charge de l’Etat ;
  • que le demandeur puisse relire le compte rendu d’entretien, y apporter des précisions écrites et le signer.

RECOURS CONTRE LES DECISIONS DE L’OFPRA

Le contrôle de la Commission des recours est étendu à l’ensemble des décisions de l’Office, qu’il s’agisse de décisions de refus ou de décisions d’octroi (article 5). En effet, le projet de loi prévoit que « la commission statue sur les recours formés contre les décisions de l’office prises en application de l’article 2 de la présente loi. ». Le projet de loi envoie au décret d’application la précision « des recours prévus au II de l’article 5, le recours en révision contre les décisions de la commission ainsi que les délais pour les former ». LA CFDA estime que la nouvelle formulation de l’article 5 contient une menace. En effet, il n’est pas précisé qui peut formuler ce recours. S’il s’agit de l’intéressé, cela représente une garantie juridictionnelle en particulier pour les personnes à qui le statut de réfugié est refusé mais à qui est accordée la protection subsidiaire, qui pourront ainsi demander à la commission la requalification de la protection. En revanche, il s’agirait d’un très net recul s’il s’agit d’ouvrir un droit de recours à des autorités, qui ne sont pas précisées dans le projet de loi-elles seront précisées dans le décret d’application- mais qui pourraient être le ministère de l’intérieur ou les préfectures, afin de contester une décision de l’OFPRA, de reconnaissance de statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. On peut s’interroger sur la conformité de cette disposition avec la Constitution et avec les règles générales du droit dans la mesure où seules les parties peuvent contester une décision qui leur fait grief, en l’occurrence l’OFPRA qui pourrait difficilement contester sa propre décision ou l’intéressé.

La CFDA regrette que le projet de loi supprime de l’article 5 les garanties de procédure déjà existantes, à savoir la possibilité pour les requérants de présenter leurs explications et de s’y faire assister d’un conseil (voir recommandation ci-dessus). En outre, le projet amendé par l’assemblée prévoit que le Président et les Présidents de sections pourront statuer par ordonnance, sans que l’intéressé n’ait été entendu en audience publique, le cas échéant assisté d’un conseil, dès lors que le recours « ne présente aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur de l’Office ». Cette disposition apparaît contraire aux règles générales du droit qui prévoient la collégialité des décisions sur le fond. En outre, en privant un nombre important de demandeurs de la possibilité de s’expliquer, assisté le cas écheant assisté d’un conseil, cette disposition est une atteinte aux droits de la défense constitutionnellement garantis.

  • La CFDA demande que l’article 5 précise que la Commission des recours des réfugiés statue sur les recours formulés par les étrangers et apatrides contre les décisions de l’OFPRA.
  • La CFDA demande que ne soit pas introduite la possibilité de statuer par ordonnance sur des motifs de fond.

En revanche, la Commission des recours n’aurait plus à se prononcer sur les requêtes adressées par des réfugiés statutaires exposés à une menace d’éloignement. Cette suppression semble contraire à l’article 32-2 de la Convention de Genève qui prévoit que, en cas d’expulsion, « le réfugié devra, sauf si des raisons impérieuses s’y opposent, être admis à fournir des preuves tendant à le disculper, à présenter un recours et à se faire représenter devant une autorité compétente ». On peut s’interroger sur la motivation réelle de cette suppression alors même que l’exposé des motifs reconnaît que ces recours sont justement « assez exceptionnels ».

  • La CFDA demande que soit conservée la procédure d’avis de la Commission des recours contre les mesures d’expulsion prises à l’encontre des réfugiés qui représente une garantie du respect des articles 31, 32 et 33 de la Convention de Genève.

PROCEDURE PRIORITAIRE ET PAYS D’ORIGINE SURS

Règlement Dublin II et demande d’asile

L’article 10 –1 de la loi du 25 juillet 1952 prévoit à l’heure actuelle que le demandeur de statut de réfugié dont il est établi qu’il relève de la responsabilité d’un autre Etat partie à la convention de Dublin pour l’examen de sa demande, n’est pas autorisé à séjourner provisoirement au titre de l’asile, ni à saisir l’OFPRA de sa demande. En apparence le projet de loi ne fait qu’adapter ce texte en visant le règlement du 18 février 2003 dit règlement Dublin II, relatif aux normes minimales de responsabilité dans l’examen des demandes d’asile, qui est entré en vigueur en septembre 2003. Cependant, les dispositions de l’article 10-1 ne s’appliquaient qu’aux demandes de statut de réfugié. Les personnes qui sollicitaient l’asile territorial visé par l’article 13, forme nationale de protection, n’était pas soumis à ces dispositions. En unifiant les procédures d’asile, le projet de loi donne compétence à l’OFPRA non seulement pour la Convention de Gènève mais également pour deux formes nationales de protection (l’asile constitutionnel et la protection subsidiaire) qui ne sont pas explicitement mentionnés dans le règlement Dublin. On peut dès lors s’interroger sur la Constitutionnalité de cette disposition au regard de la décision du Conseil Constitutionnel du 13 août 1993 qui avait dégagé des principes constitutionnels l’obligation d’examen des demandes invoquant le préambule.

Pays « sûrs »

Le projet de loi ajouterait aux exceptions à l’admission au séjour prévues à l’article 10 qui devient l’article 8 de la loi du 25 juillet 1952, le motif suivant : « 2° L’étranger qui demande à bénéficier de l’asile a la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en œuvre les stipulations de l’article 1er C 5 de la convention de Genève susmentionnée ou d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr. Un pays est considéré comme tel s’il respecte les principes de la liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ; Le pays « sûr » n’est plus défini en référence à la proposition de directive de l’Union européenne relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié (articles 29 à 31 et annexe II). Néanmoins, selon l’exposé des motifs, l’objectif du gouvernement est d’aboutir à la fixation sur le plan européen d’une « liste commune qui s’imposera à l’ensemble des Etats membres », « facilement révisable pour tenir compte des évolutions de la situation internationale ». La CFDA estime que l’introduction de la notion de pays d’origine sûr dans la législation nationale est une grave entorse au principe de non-discrimination, énoncé par l’article 3 de la convention de Genève , les demandes des ressortissants de ces pays étant examinées dans la procédure prioritaire et ne bénéficiant alors que d’un examen rapide et sans recours suspensif. La définition est désormais rédigée en des termes très généraux et la CFDA s’interroge sur les modalités d’application des critères introduits, notamment s’il suffit de « présumer » que le pays est sûr ; en effet, selon l’exposé des motifs, un pays peut être qualifié de « sûr » lorsqu’« on peut présumer que des persécutions ne sauraient être ni perpétrées, ni autorisées, ni laissées impunies ».  ?La CFDA demande que la notion de pays d’origine sûr ne soit pas introduite dans la loi sur l’asile.

Délai d’instruction et recours en procédure prioritaire

La version définitive du projet de loi ne mentionne plus de délai pour l’instruction des demandes en procédure « prioritaire », cette précision est reportée au décret d’application. Des versions intermédiaires du texte, il ressort que l’instruction des demandes accélérées pourrait être limitée à 15 jours, voire à 96 heures pour les personnes maintenues en rétention administrative. En outre, le projet de loi relatif à l’immigration prévoit que le demandeur d’asile placé en centre de rétention qui n’aurait pas formulé sa demande dans un délai de cinq jours, verrait sa demande déclarée irrecevable. La CFDA s’inquiète fortement que la procédure prioritaire ainsi définie, ne permette pas un examen sérieux et approfondi de la demande, surtout en l’absence d’un recours suspensif.

  • La CFDA demande que des recours en urgence et suspensifs soient introduits dans la législation afin que l’étranger puisse contester le refus d’admission au séjour au titre de l’asile et l’éventuelle décision de rejet de sa demande par l’OFPRA.

ADMISSION AU SEJOUR DES DEMANDEURS D’ASILE

Le projet de loi prévoit que l’article 11 devienne l’article 9 et soit ainsi rédigé : « Lorsqu’il est admis à séjourner en France en application des dispositions de l’article 8, l’étranger qui demande à bénéficier de l’asile se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d’asile auprès de l’office français de protection des réfugiés et apatrides. L’office ne peut être saisi qu’après la remise de ce document au demandeur. Après le dépôt de sa demande d’asile, le demandeur se voit délivrer un nouveau document provisoire de séjour. Ce document est renouvelé jusqu’à ce que l’office statue et, si un recours est formé devant la commission des recours, jusqu’à ce que la commission statue. » La CFDA, attachée au principe de l’admission au séjour des demandeurs d’asile, a alerté les pouvoirs publics depuis de nombreux mois sur les dysfonctionnements graves de services préfectoraux conduisant à des délais d’attente de plusieurs mois avant l’admission au séjour des demandeurs d’asile. LA CFDA constate que si le projet de loi revient sur des dispositions envisagées dans l’avant-projet de loi qui visaient à retarder l’admission au séjour après le dépôt de la demande OFPRA, les incertitudes et les inquiétudes demeurent concernant les délais d’attente pour l’admission au séjour qui ne seront précisés que dans le décret. En outre, la CFDA considère que les documents provisoires de séjour dont la durée de validité sera fixée par décret, doivent être de durée suffisante pour assurer l’accès des demandeurs d’asile aux dispositifs sociaux de droit commun (CMU) ou spécifiques (hébergement, allocation pour vivre dignement…).

  • La CFDA demande que le délai d’enregistrement des demandes par les préfectures qui sera fixé par décret en Conseil d’Etat soit le plus court possible et, à tout le moins, inférieur à trois jours, délai prévu par l’article 6 de la directive européenne sur les normes minimales d’accueil .