Projet de loi de finances 2010 : La crise de l’accueil des demandeurs d’asile passée sous silence

La coordination française pour le droit d’asile (CFDA) lance un cri d’alarme aux pouvoirs publics et aux parlementaires face à la crise de l’accueil des demandeurs d’asile en France.

Au moment où le ministre Eric Besson se félicite de l’accueil des demandeurs d’asile, partout en France, des centaines d’entre eux sont à la rue. A Angers, Bordeaux, Cergy, Metz, Paris, Calais ou Tarbes, ces personnes sont contraintes de dormir dehors ou de squatter des bâtiments vétustes en dépit des obligations de la France [1] de leur garantir des conditions d’accueil décentes, obligations pourtant rappelées régulièrement par les juridictions compétentes à l’occasion de condamnations répétées de l’Etat [2]. Ces conditions de vie ont notamment pour conséquence une dégradation importante de l’accès aux soins et du suivi du traitement des personnes malades.

Cette nouvelle crise de l’accueil des demandeurs d’asile, similaire à celle du début des années 2000, a plusieurs causes :

  1. une hausse du nombre des demandes d’asile (+ 20% par rapport à 2008), due notamment à la persistance des violations des droits de l’Homme dans le monde ;
  2. un dispositif d’accueil engorgé dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) (près de 5000 personnes en attente d’une entrée) en dépit du caractère restrictif des critères d’admission [3] et des pressions financières exercées sur les centres pour en « sortir les personnes indues », les réfugiés et les déboutés, sans solution digne et sans travail social ;
  3. une régionalisation improvisée de l’admission au séjour, sans moyen supplémentaire pour les préfectures devenues seules compétentes en région, ce qui aboutit à multiplier les obstacles pour déposer la demande d’asile (numerus clausus, exigences illégales, délais de plusieurs semaines pour la prise en compte de la demande) ;
  4. un démantèlement du dispositif de premier accueil, avec le remplacement de plates-formes départementales d’accueil existantes par des plates-formes régionales dont les budgets seront minimaux et les missions d’accompagnement réduites à un enregistrement dans le logiciel dn@ et à une orientation vers des associations caritatives ou vers le 115 pour l’hébergement d’urgence.

Le projet de loi de finances 2010 [4], bien qu’en hausse de 12% pour l’asile, passe cette crise sous silence et fait ressortir une augmentation des crédits manifestement insuffisante pour permettre à la France d’honorer ses obligations :

  1. le budget de l’OFPRA est en augmentation de 5% et celui de la CNDA stagne alors qu’il leur est demandé de réduire les délais d’instruction. Il est à craindre que cela se réalise au détriment des garanties de procédure ;
  2. seules 1000 nouvelles places de CADA seraient créées en 2010, ce qui ne permettra pas de satisfaire les besoins constatés ;
  3. les crédits d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile sont stables (30 M€) alors qu’ils étaient déjà très nettement sous dotés. Pour répondre aux obligations de la France et aux condamnations des juridictions administratives, il faudrait pour le moins tripler ce montant ;
  4. malgré un montant plus réaliste, les crédits alloués pour le versement de l’allocation temporaire d’attente (ATA) sont encore sous évalués et son montant ne permet pas aux demandeurs d’asile de survivre [5] ;
  5. les crédits inscrits au budget de l’Etat pour l’accompagnement social sont réduits de 5,1M€ en 2008 à 500 000 € ; si le financement des plates-formes régionales d’accueil est transféré à l’OFII, cela se fait sans aucune visibilité, au risque de démanteler le dispositif de premier accueil.
LA CFDA rappelle que, dans son manifeste de mai 2007 « 10 conditions minimales pour que l’asile soit un droit réel », elle recommandait que :

  • les conditions d’accueil doivent être assurées dès la première démarche de demande d’asile et pendant toute la procédure ; qu’elles doivent être au moins conformes aux exigences minimales de la directive du 27 janvier 2003 relative aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile et d’un niveau respectant la dignité de chaque personne, et permettre de vivre dignement (atteignant au moins l’équivalent du RSA, avec prise en compte de la composition familiale et du mode d’hébergement) ;
  • le système français d’hébergement pour les demandeurs d’asile, caractérisé par la liberté de choix du mode d’hébergement (soit individuel, soit collectif en CADA), doit être maintenu. Pour que ce choix soit réel pour tous les demandeurs, un accompagnement spécifique doit être garanti et doit être accessible dans chaque département, y compris outre mer ;
  • il faut également que les frais de procédure soient pris en charge par l’Etat (traduction de documents, frais de transport, aide juridictionnelle revalorisée) et que les aides financières et l’accès à l’assurance maladie soient assurés pour tous les demandeurs d’asile ;



10 conditions minimales pourque l’asile soit un droit réel (CFDA, mai 2007)
Le 27 octobre 2009

Notes

[1La directive européenne N°2003/9 du 27 janvier 2003 sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dispose que les Etats doivent fournir en toute circonstance des conditions de vie digne.

[2Dans une ordonnance du 17 septembre 2009 (CE, 17 septembre 2009, N°331950), le Conseil d’Etat a considéré que le préfet « doit, aussi longtemps que [l’étranger] est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d’asile et quelle que soit la procédure d’examen de sa demande, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d’accueil comprenant le logement, la nourriture et l’habillement ». Il considère que « lorsque les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, l’autorité administrative peut recourir à des modalités différentes de celles qui sont prévues, c’est pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, et en couvrant les besoins fondamentaux du demandeur d’asile". Par une ordonnance du 20 octobre 2009, le Conseil d’Etat a considéré que les personnes placées sous procédure Dublin II avaient les mêmes droits.

[3Seuls les demandeurs d’asile admis au séjour sont éligibles à l’entrée dans un CADA. Les personnes sous convocation du règlement Dublin et celles dont la demande d’asile a été placée en procédure dite « prioritaire » ne peuvent y accéder. En 2008, seul un tiers des personnes éligibles ont en fait pu y accéder.

[4Programme N° 303 relatif à l’immigration et l’asile. Les crédits de la CNDA sont rattachés au programme Conseil et contrôle de l’Etat (programme N°165).

[5L’allocation temporaire d’attente est versée au demandeur adulte admis au séjour, dont la demande est en cours d’instruction et en attente d’une place en CADA. Son montant de 10,54€ par jour est insuffisant pour satisfaire les besoins fondamentaux des personnes.