Politique européenne d’asile : état des lieux et inquiétudes de la CFDA Note d’analyse

« La convention de Genève relative au statut des réfugiés, qui a permis de fournir protection à cinquante millions de personnes dans le monde depuis 1951, est aujourd’hui mise en péril en Europe : les travaux que mènent les Etats membres de l’Union européenne pour rapprocher leurs politiques d’asile - dont les organisations non gouvernementales comme les parlements nationaux sont souvent tenus largement à l’écart - sont déterminés par le contrôle des flux migratoires. Destinés à définir des normes communes à l’horizon 2004, ils ont prioritairement porté sur des mesures propres à entraver l’accès des demandeurs aux procédures d’asile, à éviter d’avoir à examiner leur demande et à mettre en place des formules de protection au rabais. »

Ce constat établi en mars 2002 par la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) [1] n’est en rien démenti un an plus tard.

Réunis à Séville en juin 2002, les chefs d’Etat et de gouvernement ont demandé au Conseil et à la Commission européenne d’accorder « une priorité absolue » aux mesures contenues dans le Plan global de lutte contre l’immigration clandestine adopté un peu plus tôt et invité les prochaines présidences à continuer de donner aux questions de migration une « place privilégiée » dans le calendrier des travaux. C’est dans ce contexte, nourri de l’obsession sécuritaire qui s’est imposée après le 11 septembre 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme, que se sont poursuivis sous présidence danoise (juillet-décembre 2002) puis grecque (janvier-juin 2003) les travaux pour la mise en place du régime européen commun de l’asile annoncé au sommet de Tampere en 1999. Mais surtout, parallèlement à ce processus normatif, une série de mesures ont été décidées ou mises en place dans les domaines du contrôle des flux migratoires et de l’éloignement des étrangers illégaux. La CFDA dénonce le fait que certaines de ces mesures dites « opérationnelles », directement applicables en l’absence de tout contrôle démocratique et de tout cadre légal, pèsent de façon menaçante sur le droit d’asile.

Ainsi les Etats membres envisagent-ils de s’affranchir de la responsabilité qui leur incombe de garantir aux demandeurs d’asile un accès à leurs procédures, en externalisant l’examen de certaines demandes hors de leur territoire national. Les Britanniques ont soumis aux Quinze, lors du conseil Justice et Affaires Intérieures informel de Veria en mars 2003, un projet de gestion régionale des procédures d’asile et de création de « centres de traitement » des demandes. L’idée est inquiétante mais simple : examiner les demandes d’asile au plus près des pays d’origine des demandeurs et, pour ce faire, renvoyer les demandeurs d’asile, dès qu’ils parviennent en Europe, dans un « centre fermé » localisé dans un pays tiers le temps de la procédure. Pour sa part, le HCR a repris et développé l’idée avec deux nuances : le HCR n’envisage pour l’instant d’externaliser les procédures d’asile que dans les pays adhérents à l’Union, et de n’appliquer cette procédure – dans le cadre d’un examen accéléré – qu’aux étrangers venant de « pays d’origine sûrs ». Le HCR semble prêt à mettre en oeuvre rapidement ses propositions avec les Etats membres qui le souhaitent. En vue du Conseil de Thessalonique des 20 et 21 juin 2003, la Commission européenne a rendu le 3 juin sur cette question une communication intitulée Vers des régimes d’asile plus accessibles, équitables et organisés dans laquelle elle suggère que la directive concernant les procédures d’asile en cours de discussion soit « adaptée de manière à prévoir des mesures particulières en vue de la mise en place d’un mécanisme complémentaire pour l’examen de certaines catégories de demandes introduites sur le territoire de l’Union ou à la frontière de l’Union » pour aboutir à un traitement plus rapide des demandes, éventuellement dans des « centres de traitement fermés installés sur le territoire de l’Union, à ses frontières extérieures ».

Dans la perspective du sommet de Thessalonique, la CFDA a saisi en urgence le Président de la République et le Premier ministre pour leur demander de s’opposer fermement à toute mesure s’inscrivant dans une logique de « délocalisation » de l’asile, ainsi qu’à la mise en place, que ce soit en Europe ou hors des frontières, de centres fermés pour demandeurs d’asile.

Régime commun de l’asile

En application du plan d’action établi lors du sommet de Tampere d’octobre 1999, plusieurs textes communs ont été préparés. Quatre d’entre eux font l’objet d’un commentaire dans ce chapitre : deux textes adoptés au début de l’année 2003 (la directive sur les conditions d’accueil et le règlement Dublin II) et deux textes encore en discussion (la directive relative à la qualification du réfugié et celle relative aux procédures).

Conditions d’accueil

Si la directive relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile a pu être adoptée en janvier 2003, la CFDA regrette que ce soit au prix du maintien d’un grand nombre de clauses facultatives là où la version initiale de la Commission européenne prévoyait des normes contraignantes. Certains Etats membres se sont effectivement montrés avant tout soucieux de conserver leurs prérogatives, comme pour l’accès au droit au travail pour les demandeurs d’asile (article 11). Les demandeurs sont censés recevoir une information sur les « avantages » et leurs « obligations » dans les 15 jours suivant le dépôt de leur demande (article 5), et recevoir un « certificat » dans les 3 jours attestant leur statut « ou » leur autorisation à rester. Mais il n’existe aucune obligation de remise d’une autorisation de séjour immédiate (article 6). La Commission reconnaît que « l’harmonisation sur la question de l’accès au marché du travail est minimale » et qu’ « aucune harmonisation n’est prévue en ce qui concerne la question des membres de la famille ou celle de l’accès à une formation professionnelle » [2].

En outre, au dernier moment, alors qu’un accord politique était intervenu entre les Quinze, les Britanniques ont réussi à faire ajouter une nouvelle restriction : les Etats membres peuvent limiter les conditions d’accueil si le demandeur n’a pas introduit sa demande « dans les meilleurs délais raisonnables » (article 16).

Responsabilisation d’un Etat membre

Le règlement dit « Dublin II » sur les critères permettant la détermination de l’Etat membre responsable d’une demande d’asile, adopté en février 2003, introduit quelques assouplissements en matière de réunification des familles et de délais de procédure [3]. Mais il maintient les principes posés par la convention de Dublin qui interdit au demandeur d’asile le choix de son pays d’accueil et qui permet à tout Etat membre de l’envoyer vers un Etat tiers hors de l’Union (article 3). L’opposition entre la France et le Royaume-Uni sur l’existence du centre de Sangatte a trouvé son prolongement dans ce règlement. La CFDA constate que les Etats membres, déjà incités par la Convention de Dublin à contrôler leurs frontières, seront désormais fortement dissuadés par Dublin II de tolérer sur leur sol des demandeurs d’asile potentiels. Un Etat membre sera en effet responsable de l’examen si le demandeur a séjourné « au moins cinq mois » avant l’introduction de sa demande (article 10). L’application de Dublin II est censée être facilitée par l’entrée en vigueur en janvier 2003 du règlement Eurodac, qui permet de stocker et de comparer à cette fin les empreintes dactyloscopiques non seulement des demandeurs d’asile, mais de tout étranger appréhendé à l’occasion du franchissement d’une frontière extérieure ou en situation de séjour irrégulier dans l’un des Etats membres, et ce à partir de l’âge de 14 ans.

Statut de réfugié et protection subsidiaire

La proposition de directive établissant des normes minimales relatives aux conditions [à remplir] pour pouvoir prétendre au statut de réfugié [ou à] une protection internationale est encore en discussion. Il y a peu de chances que le délai d’adoption fixé à Séville pour juin 2003 soit respecté, principalement à cause du blocage de l’Allemagne concernant les droits accordés aux bénéficiaires de la protection subsidiaire. En effet, si les Etats membres semblent désormais être d’accord pour écarter, de la définition du réfugié, toute distinction fondée sur l’origine étatique ou non étatique de l’auteur des persécutions, la notion de « protection subsidiaire » ne fait pas l’unanimité. En France, cette notion a fait son apparition - dans une acception plus restrictive que l’état actuel de la proposition de directive - dans le projet de loi sur l’asile présenté le 15 avril par le gouvernement.

Deux notions introduites par la proposition de directive apparaissent particulièrement inquiétantes : d’une part, la vérification d’un possibilité d’asile interne, à savoir qu’une personne menacée dans une région de son pays pourrait trouver asile dans une autre région, au lieu de le demander à l’étranger ; d’autre part la recherche d’une éventuelle possibilité pour le requérant de demander protection à tout autre acteur que son Etat, à savoir un parti ou une organisation qui contrôlerait une partie substantielle de son territoire. La CFDA considère que l’introduction de ces notions risque de priver de nombreux demandeurs de toute protection alors que des exemples récents ont prouvé que la possibilité d‘une option d’asile interne n’est pas une forme de protection suffisante et durable [4] ; seuls les Etats internationalement reconnus peuvent offrir une telle protection effective à leurs ressortissants, ce n’est pas le cas d’un un parti politique, de puissances occupantes, ou des groupes armés.

Procédures d’asile

Le dernier texte en discussion est la proposition de directive concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié. La Commission a rédigé une proposition « initiale » de directive en septembre 2000 mais les Etats membres ont désiré un texte moins détaillé et moins contraignant. La Commission a dû remanier en grande partie sa copie et a remis une proposition « modifiée » en juillet 2002. A Séville les chefs d’Etat et de gouvernement ont demandé que la directive soit adoptée avant la fin de l’année 2003. La CFDA déplore l’évolution de ce texte qui a vu diminuer les garanties fondamentales pour les demandeurs d’asile et augmenter la liste de clauses de statu quo : elles permettront aux Etats membres de maintenir, malgré l’adoption de la directive, des dispositions antérieures moins favorables, par exemple concernant les demandes d’asile formulées à la frontière et la notion de « pays d’origine sûr ».

Selon la proposition initiale, le demandeur d’asile était autorisé à « rester sur le territoire » tant qu’il n’avait pas été statué « définitivement » sur sa demande (article 6). Dans la proposition modifiée, ce droit a été limité à la période d’examen par « l’autorité responsable de la détermination » statuant « en premier ressort ». Une formule serait ajoutée visant à laisser aux Etats membres la possibilité d’envoyer des demandeurs vers un autre pays pour l’examen de leur demande. Les demandeurs d’asile présentant des risques de fuite et les mineurs accompagnés pourraient être détenus en cours de procédure (article 17).

Les garanties applicables aux demandes formulées « à la frontière » seraient réduites par rapport aux demandes introduites sur le territoire (article 35). Ainsi, n’y figureraient par exemple pas le droit d’être informé des décisions par écrit, d’établir un contact avec le HCR ou une organisation ainsi que le droit à la gratuité de l’assistance judiciaire et à la rédaction d’un procès verbal lors de l’entretien personnel. Il est proposé d’étendre aux gares l’application de ces dispositions déjà prévue pour les zones situées dans les aéroports et les ports.

La Commission a voulu encadrer le recours à la notion de pays « d’origine sûr » en établissant des critères très précis dans une liste jointe en annexe de sa proposition. Certains Etats membres souhaitent réduire la précision de ce texte, par exemple en supprimant le critère de « stabilité » du pays concerné, le caractère « systématique » de l’observation des normes internationales ou encore la nécessité de contrôle par des ONG du respect de ces normes.

La proposition de la Commission entérine la notion de procédure « accélérée » (articles 29 et 32). Le délai d’examen de la demande d’asile est plus court et les garanties accordées sont moindres : par exemple, l’effet suspensif des recours et les délais pour les exercer sont laissés à l’appréciation des Etats membres. Les discussions du Conseil visent à ajouter cinq nouveaux motifs de mise en procédure accélérée, la liste des « autres cas » est désormais très large : y figureraient notamment les cas où le demandeur a caché son identité ou donné de fausses informations, où il existe « de sérieuses raisons de penser qu’il a détruit […] un document d’identité » ou quand, « sans raison valable », il n’a pas déposé sa demande d’asile « plus tôt ».

La CFDA estime que le principe de l’effet suspensif des recours et du droit de rester sur le territoire ou à la frontière d’un Etat membre pendant l’examen de sa demande d’asile est essentiel. Dans la proposition initiale, il était clairement affirmé, même s’il était assorti d’exceptions (article 39). Certains Etats membres ont néanmoins réussi à faire introduire, même dans le cadre de la procédure normale, une clause de statu quo. La juridiction d’appel pourrait dans ce cas décider que le demandeur peut rester en cas de « circonstances particulières », mais cette disposition comporte elle aussi des exceptions.

Politique de dissuasion des migrants et de persuasion des Etats tiers

Au Conseil de Séville avait été évoquée la possibilité de sanctionner, par une mise sous conditions de l’aide au développement, les pays tiers qui ne coopéreraient pas à la lutte contre l’immigration illégale dans l’Union. Si l’idée a finalement été écartée, la responsabilisation des pays sources ou de transit de migrants en route pour l’Europe est considérée comme un axe fondamental de la politique migratoire de l’Union. Cette question est traitée dans une communication du 3 décembre 2002 de la Commission européenne, Intégrer le problème des migrations dans les relations de l’UE avec les pays tiers, qui définit les orientations futures dans ce domaine : à long terme, « s’attaquer aux causes profondes des migrations par la mise en place de programmes de développement visant à éradiquer la pauvreté, à renforcer les institutions et à prévenir les conflits » ; à court terme, financer, « sur la ligne budgétaire dédiée à la coopération avec les pays tiers », des crédits supplémentaires pour « appuyer de manière spécifique et complémentaire l’élaboration et la mise en oeuvre des accords de réadmission ».

Sur la base de cette communication, le Conseil a proposé en mai 2003 de « veiller à ce que le dialogue s’instaure dans le cadre des accords d’association, de coopération et autres accords de même nature, actuels ou à venir, aborde l’ensemble des questions liées à l’immigration ». Dans une communication du 3 juin 2003 [5], la Commission européenne envisage de « proposer au conseil une base légale visant à l’établissement d’un programme pluriannuel de coopération avec les pays tiers dans le domaine de l’immigration, dont l’objectif sera de répondre aux besoins des pays tiers d’origine et de transit dans leurs efforts en vue d’assurer une meilleure gestion des flux migratoires, et, en particulier, de stimuler les pays tiers dans leur préparation à la mise en oeuvre des accords de réadmission ». Elle estime que des mesures d’incitation « visant à s’assurer de la coopération des pays tiers dans la négociation et la conclusion d’accords de réadmission avec la Communauté européenne devraient être envisagées pays par pays […] compte tenu notamment de l’importance du pays tiers en termes de flux d’émigration vers l’Union ».

La CFDA déplore que la notion de « coopération » soit avant tout conçue comme un moyen de pression pour obliger les Etats tiers à jouer le rôle de garde-frontières de l’Union.

Cette logique n’est malheureusement pas sans conséquences sur la politique d’asile, ainsi qu’en témoigne la communication de la Commission européenne sur la politique commune d’asile et l’Agenda pour la protection du 26 mars 2003, qui, invoquant la « masse critique atteinte par la Communauté en matière de protection » due en particulier à l’utilisation abusive des procédures d’asile, invite, en vue d’un « partage plus équitable du fardeau et des responsabilités », à développer une véritable politique partenariale avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes. Dans ce domaine elle mentionne, se référant à l’Agenda pour la protection proposé par le HCR, la recherche de « modalités de répartition des responsabilités afin de soulager la charge supportée par les premiers pays d’asile et une coopération plus effective pour renforcer les capacités de protection des pays qui reçoivent les réfugiés ». L’idée étant que des pays tiers pourraient, moyennant l’aide de l’Union, assurer une partie de la protection due aux personnes qui aujourd’hui viennent jusque dans les pays membres demander l’asile. Dans cette optique, la Commission recommande que soit entreprise une réflexion approfondie sur les « possibilités offertes par le traitement des demandes d’asile hors de l’Union européenne » et la réinstallation des réfugiés dans des pays d’accueil, y compris les Etats membres en tant qu’« instruments complémentaires » à un système d’asile territorial efficace et équitable.

La CFDA craint que cet objectif de « responsabilisation » des pays tiers en matière d’accueil de demandeurs d’asile trouve une expression concrète lors du sommet de Thessalonique dans l’adoption par les Etats membres d’une solution d’externalisation de la procédure d’asile inspirée par la proposition britannique.

Contrôle des frontières

Dans sa communication « vers une gestion intégrée des frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne » de mai 2002, la Commission européenne définit quatre enjeux liés à la sécurité des frontières intérieures : assurer la confiance mutuelle entre Etats membres, lutter contre le terrorisme, garantir un niveau élevé de sécurité à l’intérieur de l’UE, et « accroître l’efficacité de la lutte contre l’immigration clandestine dans le respect des principes du droit d’asile ». La CFDA juge cette dernière réserve bien formelle car le reste de la communication ne fait à aucun moment référence aux moyens envisagés pour le respect de ces principes. Il aurait au minimum été opportun de rappeler que l’illégalité du franchissement d’une frontière ne peut être opposé à un demandeur d’asile … Ce silence est caractéristique de tous les travaux européens relatifs au contrôle des frontières.

Dans cette communication, la Commission recense ensuite les outils nécessaires pour une gestion cohérente, efficace et commune des frontières. Une bonne partie du dispositif actuel repose sur l’« acquis Schengen » [6] mais l’accent, selon la Commission, doit être mis sur « une coopération opérationnelle ne nécessitant pas dans un premier temps de base juridique formelle » : échanges d’officiers de liaison avec comme objectif l’assistance et la coopération permanente entre Etats membres en vue d’une exécution efficace des contrôles et des surveillances, accords bilatéraux de coopération policière pour assurer la lutte contre l’immigration illégale et la prévention de la criminalité organisée. Dans cet esprit, une étude de viabilité d’un corps de garde-frontières européen qui « exercerait de réelles missions de surveillance aux frontières extérieures par des équipes mixtes composées de diverses nationalités, en commençant peut-être par les frontières maritimes (…) » a été réalisée au cours de l’année 2002. Elle prévoit notamment la création d’Unités de réponse rapide ayant pour mission, lors d’une situation de crise survenue après l’immigration clandestine massive aux frontières extérieures d’un Etat membre « de se porter à l’aide des services nationaux des Etats touchés ». La CFDA se demande à quel type de « situation de crise » il est fait allusion et remarquer que l’éventualité d’un afflux massif de migrants à une frontière est perçue sous l’angle de la menace qu’il représente pour les Etats, et non des dangers que peuvent fuir peut-être ces personnes.

Des opérations expérimentales ont été menées aux frontières aéroportuaires en 2002 (opération « RIO II ») avec la présence pendant un mois d’équipes mixtes dans des aéroports de tous les pays membres de l’UE et dans quatre pays candidats. Dans sa communication du 3 juin 2003, la Commission émet une « appréciation […] positive à tous égards » concernant les projets pilotes et les opérations conjointes des Etats membres ayant eu lieu. Elle rappelle que toutes les initiatives opérationnelles de ce type « doivent s’inscrire dans le cadre institutionnel de l’Union », compte tenu du « rôle de coordination de l’unité commune de praticiens des frontières extérieures ». Néanmoins, constatant des problèmes d’efficacité, elle propose la création d’une nouvelle instance « ayant un caractère nettement plus opérationnel ».

Début 2003, une opération de contrôle des frontières maritimes, baptisée « Ulysse », associait des patrouilles maritimes de cinq pays dont la France en Méditerranée pour arraisonner les embarcations transportant des migrants irréguliers. La Commission a souligné la « nécessité d’instaurer un contrôle et une surveillance efficaces des frontières maritimes extérieures de l’Union » et précisé qu’elle réalisait une étude de faisabilité sur le sujet dans sa communication du 3 juin 2003 précitée.

Là encore, la CFDA constate qu’aucun dispositif propre à garantir la protection d’éventuels réfugiés potentiels parmi les étrangers interpellés ne semble prévu. Il est pourtant plausible d’imaginer que des demandeurs d’asile démunis de documents de voyage tentent de franchir ces frontières terrestres ou maritimes. On se souvient qu’en février 2001 un millier de Kurdes de Syrie avaient débarqué sur les côtes varoises, pour se voir attribuer dans leur grande majorité le statut de réfugié. Qu’en aurait-il été des obligations de la France en matière de protection si leur embarcation avait été interceptée par les contrôleurs d’immigration avant leur échouage ? La CFDA a saisi le ministre de l’Intérieur et la ministre de la Défense au mois d’avril 2003 pour connaître les dispositions prises, dans le cadre de l’opération « Ulysse », en vue d’assurer le respect du droit d’asile lors des contrôles de navires : elle n’a pas reçu de réponse.

Politique de rapatriement et de retour

En mai 2001, les Quinze adoptaient une directive sur la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement et dès fin 2001, la Commission faisait des propositions pour une politique commune en matière de retour.

Dans sa communication relative à une politique communautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier du 14 octobre 2002, la Commission s’appuie sur les conclusions de Séville et sur le Plan global pour estimer que « la nécessité de lutter efficacement contre l’immigration clandestine (est) un élément essentiel de la politique commune en matière d’immigration et d’asile ». Elle y présente les conclusions des consultations lancées à la suite de son Livre vert relatif à une politique en matière de retour d’avril 2002, qui s’articulent autour de plusieurs axes :

  • la coopération opérationnelle entre Etats membres : échanges de bonne pratiques en matière de retour (obtention des documents de voyage nécessaires au retour, identification des documents, assistance des officiers de liaison chargés de l’immigration) et
  • des mesures communes telles que les opérations de « retour communes » ou charter européens : selon la Commission, « les Etats membres doivent s’efforcer de mettre en place des vols charter communs pour les retours volontaires et forcés », dont la généralisation « non seulement présenterait des avantages financiers mais adresserait aussi un signal plus fort ». Plusieurs vols charters associant au moins deux Etats membres ont été organisés en 2003 dont un franco-allemand vers la Côte d’Ivoire et le Sénégal et un franco-britannique vers l’Afghanistan. La Commission prépare un projet de lignes directrices relatives à des mesures de sécurité applicables lors des rapatriements par voie aérienne.
  • l’adoption de normes communes : afin de mettre en oeuvre de manière efficace cette coopération opérationnelle, la Commission préconise la création d’un cadre juridique commun par l’adoption de normes minimales. Elle prévoit en particulier de créer un cadre juridique contraignant pour assurer la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement (harmonisation de la fin du séjour l égal, 7 des conditions de détention…) par une proposition de directive relative à des normes minimales pour les procédures de retour et la reconnaissance mutuelle des décisions en matière de retour. Ces normes devraient garantir à la fois les droits des personnes éloignées - notamment une mesure de sauvegarde finale pour le non-refoulement de manière à préserver le respect des obligations internationales - et l’efficacité de l’éloignement. La CFDA s’inquiète de ce qu’aucun calendrier ne soit proposé pour l’élaboration de ces normes, alors que les mesures opérationnelles ont déjà été mises en oeuvre (v. ci-dessus).

Le renforcement de la coopération avec les pays tiers constitue la toile de fond de toute la politique de lutte contre l’immigration clandestine. En ce qui concerne les retours, l’élément essentiel pour les Etats membres est de parvenir à conclure avec les pays tiers des accords de réadmission. La Commission s’est vu confier le mandat de négocier des accords de réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière, ou d’autres étrangers ayant transité par leur sol, avec un certain nombre d’Etats tiers [7]. A ce jour, un seul accord communautaire a été signé, avec Hong-Kong en novembre 2002. La CFDA regrette qu’aucune référence à la convention de Genève ou à la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne figure dans ces accords, qualifiés par le Parlement européen « d’ambigus ». Avec l’accord de Cotonou signé en 2000 entre les 70 pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique), l’Union européenne impose aux Etats signataires la réadmission de leurs nationaux et prévoit, par une clause générale, la négociation de futurs accords pour la réadmission des étrangers qui auraient transité par leur sol avant d’être interpellés en Europe.

Dans une communication du 3 juin 2003 (précitée), la Commission souligne que « le signal fort que représente l’échec d’une politique en matière de retour des personnes en situation irrégulière ne doit pas être sous-estimé ». Constatant que « le principal obstacle au retour n’est pas l’opération de rapatriement en elle-même mais plutôt le processus d’obtention de documents de voyage pour les personnes en situation irrégulière et sans papiers », la Commission estime « le VIS [système d’information sur les visas] pourrait faciliter l’identification des personnes sans papiers, notamment grâce à l’utilisation d’éléments biométriques. » L’étude de faisabilité sur ce système d’information sur les visas commun « recommande que les identifications soient principalement effectuées sur la base des empreintes digitales ». A la suite de l’évocation par le Conseil « d’autres éléments d’identification biométrique » pour « sécuriser encore d’avantage les visas et les permis de séjour », la Commission envisage de modifier ses propositions concernant un modèle uniforme de visa de titre de séjour en ce sens.

Si la communication d’octobre 2002 porte principalement sur les retours forcés, elle aborde la question des retours volontaires et mentionne le cas de l’Afghanistan, censé donner aux Etats membres et à la Commission « l’occasion unique de tester l’efficacité de la nouvelle politique communautaire en matière de retour ». Dans sa communication du 3 juin, la Commission estime à propos du projet pilote de retour en Afghanistan qu’il « faudrait à l’avenir adopter une approche plus intégrée » afin d’ « accroître l’efficacité des ces initiatives ». Le plan d’action du conseil de novembre 2002 prévoit la mise en place de programmes de retour spécifiques pour les pays avec lesquels la Commission négocie des accords de réadmission.

Dans le même esprit, trois pays de l’Union (Allemagne, France, Royaume-Uni) ont annoncé à la fin du mois de mai qu’ils allaient mettre au point d’ici la fin juin 2003 un programme de rapatriement de dizaines de milliers d’Irakiens sous la direction des Nations Unies.

La Convention pour l’avenir de l’Europe

Le conseil de Laeken sur l’avenir de l’Union Européenne a convoqué, en 2001, une « Convention pour l’avenir de l’Europe » afin d’ouvrir la voie à une Constitution pour les citoyens européens. L’objectif est de travailler sur la refonte des institutions avec pour but davantage de transparence et de démocratie. La création de l’Union comme entité juridique permettrait l’adhésion de l’Union aux conventions internationales telles que la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Convention doit adresser ses propositions au Conseil européen de Thessalonique. Son avant-projet de Traité constitutionnel, intègre la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. Les articles 18 et 19 de cette Charte proclament le « droit d’asile » et le principe de « protection en cas d’éloignement, d’expulsion ou d’extradition ». Si le Traité constitutionnel est adopté, la Charte, qui a une simple valeur déclaratoire, entrera dans le corpus juridique communautaire, sans créer de nouvelles compétences.

La Convention propose que les questions liées au domaine « Justice et les Affaires intérieures » (dont font partie l’asile et l’immigration) relèvent de la procédure de codécision Parlement-Conseil et soient adoptées par vote à la majorité qualifiée et (et non à l’unanimité comme actuellement) ; il s’agit d’éviter les situations de blocage. L’extension à ces questions de la juridiction de la Cour de Justice des Communautés Européennes, également prévue, unifierait le système des recours judiciaires et permettrait une meilleure protection des droits humains au sein de l’Union.

Le chapitre X du projet de Constitution concerne L’espace de liberté, de sécurité et de justice. Son article 11 contient les objectifs et les domaines de compétence de l’Union en matière d’asile. Plusieurs ONG en Europe ont adressé au président de la Convention leurs préoccupations concernant ce chapitre avant son adoption. Reprenant ces observations, la CFDA regrette notamment que l’engagement pris à Tampere d’aboutir à un traitement égal des ressortissants d’Etats tiers avec les ressortissants de l’Union ne soit pas réaffirmé, que l’article 31 limite trop fortement le rôle des Parlements nationaux dans le processus décisionnel, que la création d’organes de l’Union ayant des pouvoirs opérationnels ne soit pas accompagnée des garanties de contrôle démocratique indispensables, et demande qu’en référence à la Convention de Genève figure dans la future Constitution l’obligation d’assurer l’accès et le traitement des demandes d’asile sur le territoire des Etats de l’Union.

17 juin 2003

Associations signataires membres de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) : ACAT, Act-Up Paris, Amnesty International Section Française, APSR, AVRE, Cimade, Comede, Forum Réfugiés, GAS, GISTI, Ligue des droits de l’homme, MRAP, association Primo Levi, Secours Catholique, Service National de la Pastorale des Migrants

Notes

[1Constat dressé à l’issue de la première rencontre nationale pour le droit d’asile le 23 mars 2002.

[2Communication de la Commission du 26 mars 2003 relative à la politique commune d’asile et l’Agenda pour la protection, COM (2003)152 final.

[3Pour la France, les dispositions de ce règlement s’appliquent toujours uniquement « au territoire européen de la République » (article 26).

[4Par exemple, les « poches humanitaires » en Bosnie.

[5COM (2003) 323 final, Communication de la Commission européenne du 3 juin 2003 sur le développement d’une politique commune en matière d’immigration clandestine, de trafic illicite et de traite des êtres humains, de frontières extérieures et de retour des personnes en séjour irrégulier.

[6Déclaration d’entrée sur le territoire européen pour les étrangers, modalités de délivrance de visas, consultation du fichier SIS lors de toute interpellation…

[7Dès septembre 2000, des mandats ont été donnés à la Commission pour négocier des accords avec le Maroc, la Russie, le Sri Lanka et le Pakistan, puis en mai 2001 avec Hong-Kong et Macao, en juin 2002 avec l’Ukraine, et enfin en novembre 2002 avec l’Albanie, la Chine, la Turquie et l’Algérie.